La taupe, à l’image du pigeon ou de la tanche, appartient à la catégorie des animaux profondément sous-évalués. A tort, car la taupe est une bête fascinante, quand même plus jolie qu’un gros rat. Gloire à Josep Guardiola donc, qui a eu l’excellente idée de remettre ce mammifère hautement photophobe sous le feu des projecteurs - allô la SPA.
Des taupes à profusion
L’autre jour, l’entraîneur du Bayern Munich a cru voir quelque chose bouger dans son vestiaire, au fond à droite. Alors il a tonné en conférence de presse que, selon lui, une «taupe» balançait ses tactiques dans les médias; et qu’il n’hésiterait pas à la crever à coups de râteau s’il la débusquait. L’anecdote nous a fait sourire, d’abord parce que l’idylle sportive entre Guardiola et les Bavarois ne prête pas à pleurer. Et puis cette taupe-là, somme toute, elle n’était pas méchante.
Des taupes, il en grouille des tas dans le sport. Elles se nourrissent à 80% de lombrics et meurent lorsque leurs dents sont trop usées à force de gratter la terre. Si en surface, la taupe constitue une proie privilégiée pour n’importe quel rapace en pré-formation, dans le fond, c’est elle la plus forte. Elle entend tout, elle sent tout avant les autres, insaisissable dans les noires galeries de son propre univers.
Quand elle ne dort pas - d’un œil -, la taupe fouine. Parfois inoffensive, presque ludique, comme quand il s’agit de deviner le nom de celui qui succédera à Ottmar Hitzfeld à la tête de l’équipe de Suisse. Jeudi dernier à 12h41, flash sur le site italien de référence (Gazzetta dello Sport): c’est fait avec Vladimir Petkovic. Un mois plus tôt, c’était dans la poche avec Marcel Koller; trois heures après, la fédération helvétique communique qu’elle n’a rien décidé. Il faut creuser derechef, d’ailleurs il y a anguille sous roche et attention: la taupe est un nom vernaculaire ambigu.
Cela signifie que l’appellation désigne plusieurs espèces. Dont des moins joviales, quoique très vivaces, qui forent leurs tunnels dans les bas-fonds comme dans les hautes sphères. Ce sont les taupes qui trament, complotent, fomentent et par cette débordante activité, grignotent de l’intérieur. Dans le sport, on se les représente volontiers accoutrées en pharmacien malhonnête, en marchand de viande avariée ou en tenancier de tripot fumeux.
Et pour la corruption?
La corruption, par exemple, c’est un truc sous-terrain, très sensible au bruit et qui n’aime pas la lumière. Mais la vie des taupes, si frénétique, a ses échos sur la place publique. Rien que sur la semaine écoulée, au bulletin de santé du football mondial, on a eu un haut-dirigeant suspendu au Nigéria, un président de club algérien en prison (18 mois), six personnes arrêtées en Grande-Bretagne. Que des affaires de matches truqués. Quoi d’autre? Un club autrichien licencie un joueur qui avait cherché à en acheter quatre autres, une enquête fleuve continue à avancer en Allemagne, avec ses ramifications un peu partout en Europe, dont en Suisse. Un expert déclare les championnats turc et italien comme «cliniquement morts», trop gangrenés.
Et pendant que Sepp Blatter discute avec le Pape, un homme, un journaliste, une sorte de taupe quoi, s’est mis en tête de les chasser - les taupes. Il s’appelle Declan Hill, il est canadien, docteur en sociologie à Oxford. Après des années d’enquête et deux livres consacrés au fléau, il a décidé de le dégommer, via la fondation d’une agence anti-corruption. Noble guerre. Vaine bataille? La taupe est un animal profondément sous-évalué.