Jesse Owens et Thomas Bach ne se sont selon toute vraisemblance pas bien connus entre le 29 décembre 1953, moment que le second n'a pas franchement choisi pour naître à Wurtzbourg (Bavière), et le 31 mars 1980, jour où le premier s'est éteint à Tucson (Arizona). Peu importe, les deux hommes ont au moins deux choses en commun: ils connaissent la saveur de l'or olympique et ils ont dû se partager cette page, l'autre jour dans le journal. L'un parce qu'on commémorait le 100e anniversaire de sa naissance; l'autre parce qu'il venait d'être élu à la tête du Comité international olympique (CIO).
Contraste saisissant
Quand elles surviennent dans les gazettes, certaines collisions peuvent s'avérer rigolotes - davantage que sur la Nationale 7. Celle-ci, en tout cas, ne manque pas de piment: Jesse Owens et Thomas Bach à califourchon sur la même page. Un contraste saisissant entre deux destins uniques. Une Panthère noire (c'était son surnom) devenue symbole de l'opposition au Nazisme et un homme d'affaires couronné Seigneur des anneaux.L'un a mouché le Führer aux JO 1936 de Berlin, raflant quatre médailles d'or (100m, 200m, 4x100m et longueur); l'autre, sacré à Montréal en 1976 dans la catégorie fleuret par équipes, a longtemps travaillé comme avocat chez Adidas. L'un a sprinté, bondi sur la gloire éternelle; l'autre, membre du CIO depuis 1991, a patiemment guerroyé et/ou pactisé pour parvenir à ses fins - président du CIO quand même, seuls huit hommes avant lui avaient honoré (ou pas) le poste depuis 1894...Dans le journal, Thomas Bach se voyait attribuer un rôle un peu moins rose que celui tenu par Jesse Owens dans l'imaginaire collectif. «Il a donné l'exemple par son attachement aux Droits de l'Homme», pouvait-on lire sur feu l'athlète américain. Et sur le glacial carriériste allemand, via une voix proche mais néanmoins restée anonyme: «Il est difficile à définir. Il me vient parfois l'image d'un escrimeur qui, trente ans après la fin de sa carrière, n'a toujours pas enlevé son masque... ni rangé son épée!» A propos de Jesse Owens: «C'était la première grande vedette de l'athlétisme, le Bolt d'avant-guerre.» Sur Thomas Bach: «L'enquête du Spiegel lève le voile sur son statut d'homme de paille, ses relations avec les puissants et son implication dans les affaires de corruption qui ont touché Horst Dassler, l'ancien PDG d'Adidas qui distribuait les pots-de-vin dans le monde du sport via sa société ISL.»
Affaire et nostalgie
Un gentil et et un méchant - d'où la collision. Dans le journal, et nous ne saurions cautionner ce choix rédactionnel, le sujet dédié à Thomas Bach et au personnage sous la coupe duquel il semble œuvrer (le cheick Ahmad al Fahad al Sabah du Koweït pour ne pas le nommer), s'étalait en tête de page. Bien plus long, fouillé et étoffé que le joli articulet pondu en hommage à Jesse Owens. Le premier donnait un poids et un éclat particuliers, ce matin-là, à la rubrique «Affaires»; le second se voyait relégué en bas à gauche, juste à côté de la pub, estampillé par un mot-clé évocateur: «Nostalgie».Les affaires et la nostalgie. Cette page en somme, c'était un pur condensé de sport. On a juste regretté les proportions... Cet immense pavé y'en a marre pour le monsieur qui a promis de quitter presque tous ses nombreux titres annexes (une quinzaine dont celui de président de la Chambre de commerce germano-arabe); et les miettes pour le petit-fils d'esclave, qui se passionna pour la course à pieds à une époque où il travaillait comme manutentionnaire dans une usine de chaussures.Faut-il en déduire qu'on préfère les vilains dossiers aux belles histoires?