Lausanne Cités: Selon les statistiques officielles du Canton de Vaud, la durée de construction des logements s’est allongée de six mois au cours des cinq dernières années, cela vous surprend-il?
Laurent Pannatier: La réalité est bien pire que ces statistiques. Quand j’ai débuté il y a quinze ans, les permis de construire dans l’agglomération lausannoise s’obtenaient en six ou sept mois. Aujourd’hui, il faut compter trois ou quatre ans en moyenne, c’est beaucoup trop!
Comment l’expliquez-vous?
Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, les communes prennent plus de temps à traiter les demandes de permis de construire. Ce qui s’explique par une multiplication des services. A Lausanne, par exemple, il y a des interlocuteurs pour l’intégration des constructions dans le paysage, d’autres pour les arbres, pour les accès ou pour les poubelles... Cela implique à chaque fois de consulter ces services, parfois d’aller les voir, ce qui prend un temps fou. Si un fonctionnaire relève un détail qui ne lui convient pas, le projet immobilier doit être revu avec les délais que cela suppose. Sans oublier que les questions écologiques sont devenues un sujet récurrent et qu’on assiste à une multiplication des normes.
Et ensuite, il y a la mise à l’enquête…
C’est à ce moment-là en général que tout projet doit faire face à une pluie d’oppositions durant les trente jours qui suivent la mise à l’enquête. La commune doit les traiter, et après les avoir écartées, il y a un nouveau délai de recours. Si les opposants décident d’aller plus loin, c’est le tribunal qui rentre en jeu dans un laps de temps de plusieurs mois. Tout ceci dure au moins une année, sans compter les éventuels recours au Tribunal fédéral qui peuvent faire perdre encore de nombreux mois à tout projet immobilier.
Donc les entreprises de construction n’y sont pour rien dans ce rallongement des délais?
Non, un chantier dure toujours à peu près dix-huit mois, le problème ne vient donc pas de là.
Qui sont les coupables alors?
L’administration est victime de son propre système. En multipliant les réglementations, l’Etat se met en situation de surcharge, ce qui explique la lenteur des procédures et le surcoût occasionné pour les promoteurs. Le «jeu» des oppositions prend également beaucoup plus d’ampleur qu’à l’époque et dans certains cas, cela peut parfois frôler l’abus de droit.
On marche un peu sur la tête…
Bien entendu, car cette situation contribue à la pénurie de logements et provoque indirectement un renchérissement des logements en PPE et des loyers. Au final, c’est la population qui paie donc les conséquences de ces méandres administratifs.
C’est une situation qui vous agace?
Oui! Je comprends et défends le besoin de maintenir l’esthétique d’une ville ou d’une campagne. Je suis un amoureux de Lausanne, j’y suis donc favorable, mais cette volonté louable est poussée à l’extrême. Il faut parfois se battre des années pour remplacer une maison délabrée au centre-ville qui ne profite à personne par un immeuble de quelques appartements en faveur de nouvelles familles. Ceci alors que de nombreux Vaudois ont toutes les peines du monde à trouver un toit. Enfin, il semble y avoir parfois deux poids deux mesures. Les Plaines-du-Loup en sont un bon exemple où la Ville de Lausanne, propriétaire d’une des plus belles parcelles du Canton, ne semble pas avoir appliqué de la même manière les questions de confort de vie et d’intégration du bâti qu’elle exige aux autres acteurs du marché!
La pénurie de logements dans le Canton n’est donc pas près de disparaître…
C’est évident! Je pense même que le problème va s’accentuer ces prochaines années. Le solde migratoire est positif et on construit plus difficilement. De facto, il se crée une distorsion entre l’offre et la demande et donc une pénurie qui s’accentue.
Comment sortir de cette impasse?
Il faut accélérer le traitement juridique des oppositions et que les autorités intègrent concrètement la réalité du terrain et du marché immobilier de la région dans les processus mis en place. Derrière chaque projet immobilier, il y a des propriétaires qui valorisent leurs biens, des entreprises qui travaillent et donc des emplois, mais également des familles qui cherchent à se loger. Concevoir cinq à six ans d’attente entre le lancement d’un projet immobilier et l’emménagement des futurs propriétaires ou locataires est tout simplement inacceptable.