Pourquoi tant de haine sur nos routes?

COHABITATION • Sur la route, de nombreux usagers perdent la maîtrise de leurs nerfs en cas de conflit. Un problème qui touche tous les modes de transport. Police, experts et associations proposent des pistes pour éviter l’escalade.

  • Sur la route, notre savoir-vivre peut rapidement prendre la poudre d’escampette. 123rf

«Une hausse des tensions entre divers usagers est constatée»
Sébastien Jost, chargé de communication 
de la police lausannoise

«Les conséquences de la colère sont beaucoup plus graves que ses causes», écrivait l’empereur et philosophe Marc Aurèle au début de notre ère. Et il ne croyait pas si bien dire. Sur la route, on connaît tous une personne qui perd ses moyens pour un rien lorsqu’elle est en voiture, à vélo, à scooter ou même à pied et qui aurait mieux fait de réfléchir à deux fois avant de s’emporter. Gestes, insultes, cris, menaces: peu importe si elle est en tort ou non, elle en veut à tous les autres usagers quel que soit leur mode de transport. Résultat: danger, stress et perte de temps. Dans les pires cas, ces altercations banales peuvent prendre des tournures violentes.
Récemment, un conducteur valaisan a, par exemple, été condamné par la justice pour avoir volontairement percuté et blessé un homme à vélo. 
A l’origine du conflit, un arrêt intempestif du véhicule motorisé sur la piste cyclable, et un coup donné en réponse par le cycliste sur le rétroviseur. Autre exemple: celui d’un père de famille suisse, poignardé en France voisine pour une histoire de file d’attente devant une station-service. Le mois dernier, la justice hexagonale a condamné l’agresseur à cinq ans de prison, dont un an avec sursis probatoire.
Situations critiques
Si elles ne sont – heureusement – pas toujours aussi graves, les disputes liées aux transports sont pourtant monnaie courante, comme en atteste un sondage commandé par le TCS. A la question «avez-vous déjà eu un conflit avec un automobiliste?», plus de la moitié des 1 229 personnes interrogées affirment avoir vécu des situations «critiques». Lorsqu’on les questionne plus spécifiquement sur ces dernières semaines, elles sont même 39% à reconnaître avoir vécu un conflit sur la route.
Le TCS avance plusieurs explications. «La proximité physique et le fait d’être exposé aux voitures, ainsi que la conduite rapide et en partie irréfléchie de certains automobilistes rendent les choses difficiles pour les piétons et les cyclistes dans la circulation routière quotidienne», avance l’association. Mais ce n’est pas tout. Le TCS relève également, que face à des situations de stress, de nombreuses personnes semblent perdre tout bon sens.
«Les inhibitions en matière de jurons et même de violences ont tendance à disparaître: souvent, la frustration se fait jour sous forme de coups de pied ou de poing dans la voiture.» Voilà pour le constat. Pour éviter de céder à la colère, le TCS appelle à faire preuve de tolérance, que ce soit à l’égard des autres comme à notre propre égard. «Nous commettons tous des fautes – vous y compris – dans le trafic routier. Par votre tolérance, vous améliorez  le climat sur les routes et contribuez à réduire le nombre d’accidents.»
Mouvement d’humeur
La thématique des conflits sur la route est également suivie de près par la police lausannoise, notamment sur le terrain. «Dans un contexte d’évolution importante de la mobilité, une hausse des tensions entre divers usagers est constatée, observe Sébastien Jost, chargé de communication de la police lausannoise. Les tensions qui apparaissent concernent essentiellement les relations entre automobilistes et cyclistes d’une part, et d’autre part les relations entre les piétons et certains usagers de mobilité douce, cyclistes, vélos électriques, trottinettes».
Pour endiguer le phénomène, la police affirme effectuer des contrôles spécifiques pour permettre une meilleure cohabitation entre les usagers.
«La police de Lausanne organise chaque année des campagnes de prévention afin de promouvoir la cohabitation des divers types de mobilité, ajoute le chargé de communication. Plusieurs centaines de personnes sont sensibilisées lors de ces opérations qui sont régulièrement reconduites en ville, dans les secteurs où des problématiques de cohabitation sont  observées et signalées, notamment dans les zones piétonnes. Elles sont généralement suivies d’une phase répressive».
Eviter l’escalade
Au-delà de ces considérations, comment enrayer ces éclats de colère sur la route, notamment chez les automobilistes? Pour Jonas Marty, responsable de l’Institut d’action et de développement en psychologie du trafic, il s’agit de comprendre que  la nature de nos interactions change quand on prend le volant. «Lorsqu’on se déplace, il est rare d’avoir une discussion avec les autres usagers. On ne se voit que quelques secondes, ce qui fait que l’on ose se permettre des réactions que l’on n’aurait pas en temps normal», explique le spécialiste. Une réalité qui s’applique également aux autres modes de transport.
Pour éviter l’escalade, Jonas Marty appelle à prendre conscience que  la plupart du temps, la colère d’un autre usager n’est pas dirigée contre nous. «Ces réactions sont souvent provoquées par l’inconscient ou les réflexes. Il est très rare que  le danger soit volontaire. Dans de nombreux cas, les origines du conflit sont à chercher ailleurs que sur la route, la personne s’énerve en raison d’un problème familial ou professionnel. Il est donc inutile de s’énerver soi-même», détaille Jonas Marty.
Qui appelle également les usagers à être conscients de leur propre situation émotionnelle. «Avant tout déplacement, il faut être vigilant sur son propre état, physique ou mental. De nombreux conducteurs sont trop absorbés par leurs pensées pour conduire, dans ce cas, il vaut mieux laisser son véhicule ou se reposer un peu, pour le bien de tous.»

Vive les bons comportements

Si les comportements colériques s’observent régulièrement sur la route, le psychologue de la circulation Jonas Marty tient à nous rassurer: de manière générale, on voit sur les routes suisses de très nombreux comportements sécuritaires et prévoyants. «Si un autre véhicule ne respecte pas une priorité, anticiper peut permettre d’éviter un accident. Comme nous sommes une communauté, la grande majorité des usagers se surveillent mutuellement et garantissent une plus grande sérénité», observe le spécialiste. Qui salue également le niveau de sécurité routière atteint dans notre pays. «En Suisse, nous sommes très avancés en matière de sécurité routière. Et heureusement, parce que des dangers supplémentaires se multiplient actuellement. Je pense notamment aux vélos électriques et aux trottinettes, qui sont de nouveaux usagers de la route, mais pas toujours conscients des dangers, et qui contraignent les automobilistes à s’adapter.