De photographe à tatoueur, 
«c’est le métier qui m’a choisi»

PORTRAIT • Installé depuis plus d’une année dans son propre studio à l’avenue de France, le tatoueur lausannois Ulrich Choffat possède son univers bien à lui. Mais sa personnalité et son sens de l’humanité sont sa première carte de visite. Rencontre.

  • Rencontrer les gens, l’une des principales motivations d’Ulrich Choffat. Photo TILLE

Objets anciens, hétéroclites, surprenants parfois. Le studio de tatouage Black Castle, situé à l’avenue de France 40, est à l’image de son propriétaire, Ulrich Choffat. A 35 ans, son parcours, comme son état d’esprit, sont tout aussi riches que les trouvailles qu’il expose fièrement sur son lieu de travail.
Un chemin qui semblait tout tracé
Ulrich n’a jamais rêvé de devenir tatoueur. Et pourtant, cette carrière ne fait pas vraiment partie de celles que l’on choisit à défaut d’autre chose. Au départ, ce Lausannois né à Bienne – qui a résidé à Fribourg, Neuchâtel ainsi qu’au Brésil – était «programmé» pour devenir peintre. Comme son grand-père. Après deux écoles d’art, il finit néanmoins par bifurquer vers la photographie, comme son père qui la pratiquait en amateur. «J’ai grandi dans cet univers créatif, poursuit-il. C’était un parcours logique pour moi.»
Durant ses années d’études, Ulrich enchaîne quelques emplois dans des musées d’art et d’histoire, ainsi qu’à l’atelier de numérisation de Lausanne, pour le site internet museris qui recense les œuvres des musées du chef-lieu vaudois et de ses environs. Puis, il commence à décrocher des mandats en photographie. Mais pas assez pour payer ses factures.
Payer ses factures...
«J’avais abandonné la peinture car j’avais réalisé que cela ne paierait pas mes factures… Je sais aujourd’hui que la photographie non plus!» rit-il. A la recherche d’un emploi, il effectue un stage de pierceur au studio Drop In, à Lausanne. Mais c’est avec les tatoueurs qu’il passe sa semaine. Finalement, le studio le rappelle; ils ont entre-temps aperçu les dessins qu’Ulrich avait posté sur les réseaux sociaux et ils veulent lui proposer une place en tant que tatoueur. C’était en novembre 2012.
Quand le destin s’en mêle
A l’adolescence déjà, avant même d’imaginer que sa vie prendrait cette tournure, Ulrich imaginait ses futurs tattoos. «J’ai un frère de trois ans mon aîné et je voulais faire comme lui. Lorsqu’il s’est fait faire son premier tatouage, j’ai commencé à dessiner ceux que je voulais.» Le destin lui faisait déjà des clins d’œil. Il y a tout d’abord ce souvenir, comme un «flash»: celui d’avoir accompagné sa mère se faire tatouer. «Ce n’est arrivé qu’une fois, c’est son seul tattoo. Mais avoir grandi avec, cela m’a marqué.» Sa première vraie expérience avec le tatouage, c’était au Brésil, son pays maternel. Dans le salon où il se fait tatouer pour la première fois, il y rencontre l’apprentie. Elle deviendra et restera sa petite amie – une relation longue distance - durant 6 ans. C’est sur elle qu’il s’essaiera à réaliser son tout premier tatouage. «Elle m’a peut-être inspiré sans le vouloir», songe-t-il.
Au studio Drop In, Ulrich se forme durant une année avec Aito qui pratique le style de tatouage polynésien. «Il n’y a pas de formation officiellement reconnue, ni de diplôme pour être tatoueur, explique Ulrich. Tu te formes avec un mentor, c’est de la transmission de savoir.» Mentor, c’est un mot assez «cool», selon Ulrich. Dans la tradition japonaise, beaucoup plus traditionnelle, on parle plutôt de «maître». Et là-bas, les apprentis tatoueurs consacrent cinq ans à cet apprentissage. «Même si le processus de formation est un peu moins rude ici, il y avait encore, quand je me suis formé, cette tendance où, au départ, tu es un peu le mec qui fait le ménage. Puis, petit à petit, tu commences à prendre plus de responsabilités, à créer des projets, dessiner, avant d’enfin pouvoir tatouer. Il y a une forme de mérite à gagner pour intégrer le clan.»
Un métier «libre et beau»
Très vite, le tatouage devient son gagne-pain. Il laisse de côté la photographie et s’adonne à développer son style et sa pratique. «Je n’ai pas choisi ce métier, c’est le métier qui m’a choisi», n’hésite-t-il pas à dire. Son univers, floral, médiéval, symbolique – il aime quand un tattoo possède une signification - s’inspire de la gravure, des textures. «Je m’inspire d’un monde vintage, old-school, même dans le privé. Mais ma première inspiration, ce sont mes clients.» Certains de ses «habitués» d’aujourd’hui sont d’ailleurs ceux de la première heure. Des amis qui ont accepté, il y a douze ans, de jouer le rôle des «cobayes». «Ce que je préfère lorsque je tatoue, c’est le sourire du client satisfait. Cela me redonne confiance. C’est une profession difficile, il y a une remise en question perpétuelle.»
Mais malgré cela, être tatoueur, c’est avant tout un métier «libre et beau», estime Ulrich. «Chaque jour tu es entouré de monde, tu rencontres des gens, des personnes qui t’ont choisi. Après une session de tatouage, un lien s’est créé avec mon client; on a souffert ensemble – je me pète le dos durant une séance - on s’est raconté nos vies. En fait, tatoueur c’est un métier humain et social.»  n

Son compte instagram : @ulrich_blackcastle