Quelle est l’empreinte carbone d’un kilowattheure consommé en Suisse? La réponse à cette question reste à ce jour difficile à formuler en raison de l’important nombre de variables impliquées dans ce calcul. Actuellement, l’empreinte carbone de l’électricité fournie en Suisse se base sur une moyenne annuelle alors qu’elle varie constamment au fil de la journée. Pour la première fois, des chercheurs de l’EPFL ont réussi à affiner ce calcul. Leur méthode? Utiliser une plateforme financière européenne qui calcule la production électrique horaire selon sa provenance durant une année (2015-2016). Cette brèche offre une grille d’analyse plus fine aux fournisseurs et aux consommateurs d’électricité en Suisse.
Une grille d’analyse plus fine
Cette recherche montre en effet qu’à certaines heures de la journée, l’empreinte carbone est jusqu’à cinq fois sous-évaluée qu’elle ne l’est réellement. Ce n’est pas tout: «Cette analyse nous permet par exemple de savoir que lorsque je charge mon téléphone portable l’après-midi, j’ai plus de chance de tomber sur une ressource renouvelable que le soir», explique Didier Vuarnoz, co-auteur de l’étude avec Thomas Jusselme, tous deux membres du groupe Building2050, installé à Fribourg au sein du smart living lab. Les chercheurs viennent de publier leurs données en libre accès sur la plateforme Data in Brief, pour donner la possibilité aux industriels et ingénieurs de les exploiter librement.
Une base de données européenne
La Suisse produit une partie de sa propre électricité et en échange avec la France, l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie sous forme d’imports et d’exports. Il est ainsi difficile d’y voir clair et de savoir quel pays produit quoi à l’instant. Les chercheurs ont ainsi eu l’idée d’utiliser une nouvelle base de données européenne afin de mieux comprendre ces échanges. Nommée ENTSO-E transparency platform et accessible depuis 2015, cette plateforme financière comptabilise notamment les flux énergétiques entre chaque pays d’Europe, heure par heure. Les chercheurs ont traité ces données en convertissant les kilowattheures (kWh) en carbone en se basant sur le cycle de vie de chaque flux. Chaque kWh produit à un moment donné (nucléaire, charbon, hydraulique, etc.) a ainsi hérité d’une quantité d’émission de carbone en fonction de son origine, fossile ou renouvelable.
Une échelle horaire
L’idée n’est toutefois pas d’encourager tout le monde à se focaliser sur les heures où les énergies renouvelables sont les plus utilisées, ce qui aurait comme résultat de déplacer le problème, précise le chercheur, mais de mieux consommer en développant de nouvelles stratégies. Ces données ont par exemple permis aux chercheurs et leurs collègues du smart living lab de publier d’autres travaux en août dernier dans la revue Sustainable Cities and Society. Cette étude propose en cas d’étude l’exploitation d’un bâtiment qui produirait une partie de sa propre électricité, afin de mieux démontrer la pertinence d’une analyse horaire de la consommation énergétique.
«Ne puis-je pas programmer mon lave-linge pour l’après-midi plutôt que le soir, par exemple, si je sais que l’énergie du bâtiment où je vis est produite par du solaire durant cette période?», illustre Thomas Jusselme. «Cette échelle horaire vise aussi à savoir quand utiliser l’énergie stockée dans son bâtiment afin de rentabiliser l’empreinte carbone de sa batterie. Si j’utilise mon énergie propre stockée dans mes batteries le soir, à la place, par exemple de l’énergie issue des centrales à charbon allemandes, je diminue également mon empreinte carbone», complète Didier Vuarnoz.
L’enjeu est de taille: pour atteindre les engagements d’une société à 2000 watts, fixé à 2050, et assurer la transition énergétique, la Suisse doit en effet se doter d’outils précis et fiables pour mieux évaluer son impact sur l’environnement et trouver des alternatives à la consommation d’énergies fossiles. «Ce nouvel outil d’analyse pointe un immense potentiel qui nous permettrait de répondre en partie à la promesse formulée pour 2050», conclut Thomas Jusselme.