Lausanne Cités: Que révèle cette crise sur notre fonctionnement?
Sandro Cattacin: D’abord que les gens comprennent lentement. Toutes les mesures mises en place doivent être accompagnées d’un processus d’apprentissage. A titre de comparaison, on a connu cela avec le préservatif. Aujourd’hui, on assiste à la même chose avec la distance civique. On est conscient de la nécessité de la mesure mais on ne le fait pas tout de suite. Les comportements s’intègrent avec plus de force quand ils s’accompagnent d’un apprentissage. Dans l’idéal, il faut ce temps d’adaptation, dont on ne dispose malheureusement pas aujourd’hui…
Et sur notre société en général?
Ce qui est étonnant, c’est que l’on pourrait penser que dans des situations de crise comme celle-là, l’individualisme l’emporte. Mais, en réalité, on voit que c’est plutôt le collectif. Il y a par exemple une condamnation très forte des gens qui ont un comportement non conforme. On condamne de manière extrême ceux qui se ruent sur les pâtes ou le papier toilette ou ceux qui continuent à se rassembler. A travers ces critiques des comportements individualistes, c’est le collectif qui s’avère le plus fort.
Le collectif s’exprime à travers la condamnation morale?
Pas seulement. Il y a aussi une volonté de montrer que l’on existe en tant que société. C’est ce qu’expriment les Italiens qui chantent depuis leurs balcons. Ou les applaudissements des Lausannois. Ou encore les mots dans les halls d’immeubles du type: «si vous avez besoin…». Ce genre de réactions naissent spontanément. Cela démontre les ressources de la société face à ce type d’événements. Dans des situations de guerre, de conflit, la solidarité ressort très vite. On prend conscience de notre capacité à survivre ensemble.
Nos rapports aux autres vont-ils changer à tout jamais?
On peut imaginer qu’il y a toute une série de choses que l’on est en train d’apprendre. Telle que la responsabilisation pour soi, pour les autres. Mais aussi de nouvelles façons de vivre à la maison ou de travailler.
Comme le télétravail?
Le télétravail se confirme comme une forme possible et efficace. Il permet une baisse de la mobilité, et donc moins de problèmes écologiques, moins de stress. Et sans aucune conséquence sur la productivité. Car, en réalité, les travailleurs s’auto-contrôlent. Cette période pourrait influencer l’organisation du monde du travail de demain.
Cette période peut-elle aussi influencer les relations familiales?
Pour beaucoup de familles, c’est un stress énorme. Surtout quand on habite en ville, dans un petit appartement. On n’a pas d’espace et les enfants, eux, ont besoin de courir, d’aller dehors. Ce n’est pas très favorable au bien-être de la famille.
En Chine, on a assisté à une vague de divorce après six semaines de confinement, peut-on s’attendre à cela ici aussi?
C’est tout à fait possible qu’il y ait un effet mais c’est difficile à dire. Peut-être va-t-on au contraire assister à une génération d’enfants corona! Ce qui est sûr c’est que beaucoup de couples trouvent leur équilibre dans le respect de l’individualité de chacun. On sait que ce n’est pas très sain de se voir trop.
Peut-on craindre une hausse des violences domestiques?
Je ne pense pas. Ça n’est pas arrivé en Italie. Je pense que, durant une telle période, on se rend aussi compte que l’on a besoin de l’autre. Pour se rassurer, s’épauler, s’entraider.
Une telle période pourrait aussi permettre de se recentrer sur ce qui est finalement essentiel dans nos vies?
Oui. Une fois qu’on aura réglé le côté pragmatique, qu’on aura mis en place l’organisation du quotidien, je suis convaincu que cette période sera propice à ce type de réflexion. Au final, la fragilité de la société renforce la communauté. Après, reste la question: combien de temps résiste-t-on en situation d’isolement.