«La même logique que les minarets!»

CARRES MUSULMANS • Alors qu’une pétition est lancée contre la mise en place d’un carré musulman au cimetière du Bois-de-Vaux,et qu’un certain nombre de tombes ont subi des déprédations, l’ethnologue Yvan Droz, enseignant à l’IHEIDde Genève, analyse le phénomène.

  • Yvan Droz, spécialiste en anthropologie religieuse. dr

    Yvan Droz, spécialiste en anthropologie religieuse. dr

Pourquoi les cimetières, lieux des morts revêtent-ils une telle importance pour les vivants?
Yvan Droz: Parce qu’ils représentent une manière de domestiquer la mort. Et puis, dès lors que l’on enterre, on crée un ancrage identitaire fort.Car avoir un lieu de mémoire pour les morts, les rassembler dans une même place, est une manière de raconter une histoire communautaire qui permet de créer le groupe. 
 
Les tombes musulmanes sont plutôt discrètes. Pourquoi peuvent-elles poser problème en Suisse? 
Ce ne sont pas les tombes, mais surtout les carrés qui sont visibles, car ils montrent de manière spatiale la séparation, et pour certains un « défaut » d’intégration. Avec la question des carrés musulmans, on est en fait dans un processus très classique de reconstitution de l’identité du groupe à partir des grands événements de la vie collective, mariages, baptêmes, morts, etc.
 
Avec quel résultat?
L’instrumentalisation politique des rites funéraires s’inscrit dans le cadre d’un jeu fréquent en politique, comme celui que l’on a pu voir par exemple pour la votation sur les minarets, alors que la Suisse n’en comptait que deux ou trois… Il s’agit de prendre un événement qui résonne dans la mémoire collective et d’en faire un cheval de bataille politique, en réactualisant une forme d’identité judéo-chrétienne censée s’opposer à celle des musulmans...  
 
Y a-t-il des précédents à des instrumentalisations de ce type? 
Dans la représentation collective des années 30 par exemple, l’«ennemi» fantasmé était les Juifs. Aujourd’hui, les musulmans jouent le rôle de bouc-émissaire, conçus selon un certain imaginaire, comme une menace pour la société suisse, alors que l’immense majorité des musulmans de Suisse n’est ni arabophone ni fondamentaliste. A cela se rajoute la manière dont la politique migratoire est conçue en Suisse, fondée sur une logique d’assimilation: les musulmans qui viennent en Suisse sont censés devoir devenir Suisses et être enterrés comme des Suisses. 
Et que proposer dans ce cas aux Suisses convertis à l’islam et qui souhaiteraient être enterrés dans des carrés musulmans? 
C’est une bonne question qu’il faut poser à ceux qui s’opposent à ces carrés confessionnels. Tout comme on peut d’ailleurs s’interroger sur le nombre réel de musulmans qui souhaiteraient être enterrés dans des carrés spécifiques.