«Notre chiffre d’affaires a chuté de 35% en l’espace de quelques semaines»
Mohammad Ali Antar, fondateur
de la Maison d’Orient
C’est un symbole qui en dit long sur l’évolution de la mobilité à Lausanne. En 1915, l’emblématique bâtiment du Closelet n’abritait pas un centre commercial, mais le garage Addor. On y réparait et vendait des automobiles à ceux qui pouvaient s’en offrir. Plus d’un siècle plus tard, le changement est radical: la place dévolue à la voiture se réduit comme peau de chagrin avec la volonté de redonner de l’espace aux piétons, mais aussi et surtout aux cyclistes. En témoignent les récents aménagements réalisés en avril et novembre dernier dans le quartier. Premier constat, la Ville reste fidèle à sa politique puisque
18 places de stationnement ont été supprimées, de nouvelles pistes cyclables ont été créées et des poteaux remplacent désormais certaines places de livraison.
Une transformation du quartier qui séduit Migros Vaud: «Nous nous réjouissons de l’évolution de la ville de Lausanne en faveur des mobilités douces, ce qui correspond à nos ambitieux objectifs de durabilité. Migros Closelet est une adresse urbaine qui évolue avec la ville et les habitudes de sa clientèle. De nombreuses personnes viennent d’ailleurs faire leurs courses en vélo.» Du côté des petits commerçants, le son de cloche est radicalement différent. Breno de Santana, responsable de Durig Chocolatier, considère que ces aménagements provoquent l’effet inverse du but recherché: «Le flux de véhicules n’a jamais été aussi chaotique. Des voitures ou des camionnettes de livraison se parquent sur les trottoirs, les gens sont plus nerveux car ils ne trouvent pas de place et les vélos zigzaguent un peu partout.»
Désertion de la clientèle
Lors de notre reportage sur place, il ne nous a pas fallu attendre longtemps pour constater de nos yeux cette nouvelle réalité. Avec comme conséquence fâcheuse pour les petits commerçants, une baisse notoire de leur activité: «Nous vivons une véritable hécatombe, notre chiffre d’affaires a chuté de 35% en l’espace de quelques semaines, déplore Mohammad Ali Antar, fondateur de la Maison d’Orient. Nos clients, plutôt âgés, préfèrent utiliser leur voiture plutôt que le bus ou le vélo. Avec moins de places de parc, ils ne viennent plus. J’ai même lancé un service de livraison, mais cela ne marche pas. Si je trouve un autre local où l’on peut se parquer devant, je déménagerai.»
Moins impacté, mais tout autant vindicatif, Florent Chenaud gère depuis neuf ans le Kiosque du Closelet: «Depuis la réalisation de ces aménagements, j’ai perdu 10% de ma clientèle. Cette dernière ne peut plus se parquer devant mon kiosque, donc elle préfère se rendre à Pully pour acheter ses cigarettes ou ses journaux. Cela m’attriste et me met aussi en colère car devant mon kiosque, la place de livraison a été remplacée par plusieurs poteaux qui ne servent à rien, c’est absurde!»
Cyclistes en danger?
Marianne*, une cycliste qui connaît bien le quartier puisqu’elle vit depuis plus de vingt ans à l’avenue de Montchoisi, souligne deux autres absurdités: «Il faut quand même m’expliquer qui a eu l’idée de dessiner une piste cyclable dans le sens des voitures parquées. Plus d’une fois, j’ai failli me faire percuter par l’ouverture soudaine d’une portière. Autre ineptie, la Ville de Lausanne ne cesse de prôner des aménagements inclusifs mais il n’y a aucune place à macaron pour les personnes à mobilité réduite.» Confrontée à ces multiples griefs, la municipale en charge de la mobilité, Florence Germond, reste droite dans ses bottes: «Nous avons reçu trois plaintes à ce jour dont une liée aux travaux mais aucune, sauf erreur, de la part de commerces. Nous sommes toujours à l'écoute des différents retours même si nous ne pouvons jamais répondre à toutes les attentes. Concernant les commerces, il faut une phase d’adaptation pour que la clientèle reprenne ses habitudes après de nouveaux aménagements.»
Quant à la dangerosité supposée de la piste cyclable longeant les voitures parquées, l’élue socialiste se défend de toute maladresse: «Le stationnement en épi a été transformé en stationnement longitudinal car il offre plus de visibilité aux automobilistes et donc permet d'améliorer la sécurité des usagers. Pour les cyclistes empruntant l’avenue de Montchoisi à contresens, nous avons volontairement créé une bande cyclable large (deux mètres) et rajouté 50 centimètres à minima pour permettre aux automobilistes d'ouvrir leur portière sans mettre en danger les cyclistes. Ces mesures sont intéressantes en termes d’itinéraires et d’accessibilité dans le cas d’une ville comme Lausanne, à la topographie peu favorable à la pratique du vélo.»
Enfin, pour ce qui est de l’absence de places destinées aux personnes à mobilité réduite (PMR), la municipale précise qu’à ce jour la Ville n’a pas reçu de demande en ce sens. Et de rappeler: «Toute personne peut faire une requête. Sauf obstacles techniques, nous réalisons systématiquement une nouvelle place PMR suite à une demande. Durant l’année 2022, le nombre de places PMR en ville est passé de 92 à 101, soit une création de neuf places et six places supplémentaires ont été ajoutées en 2023.»
*Prénom fictif, identité connue de la rédaction
Une élue s’empare de la question au Conseil communal
C’est par le biais d’une interpellation baptisée «Quartier Closelet: jusqu’où va-t-on pousser l’absurdité?» que la conseillère communale PLR Françoise Piron espère porter la voix des commerçants et des riverains mécontents. Dans son texte, l’élue déplore notamment une insécurité grandissante pour les personnes âgées et celles à mobilité réduite qui viennent faire leurs courses. Françoise Piron regrette également que ces nouveaux aménagements aient été réalisés sans consultation préalable des commerces directement impactés. Elle demande en outre à la Municipalité les éventuelles mesures compensatoires prévues, qu’il s’agisse d’une politique de livraison à domicile ou de services destinés aux aînés ou aux personnes à mobilité réduite.