«Les ramifications mondiales de la Toile facilitent l’impunité des cybercriminels»
Lausanne Cités: Le 1er janvier prochain, vous ne serez plus procureur général du Canton de Vaud, quel sentiment dominera lors de votre pot de départ?
Eric Cottier: Ce sera le sentiment du départ, non pas de ma fonction de procureur général, mais d’un parcours qui m’a conduit à exercer des activités judiciaires durant quarante ans. Je partirai sans nostalgie mais avec un dernier regard sur une justice qui a beaucoup évolué.
Vous êtes entré en fonction le 1er septembre 2005, quel bilan faites-vous de ces 17 années passées à la tête du ministère public cantonal?
Durant ces 17 années, j’ai été à la tête d’une institution qui a connu une profonde mutation en 2011. Cela a été un véritable tournant: d’une part les procureurs ont repris toutes les compétences des juges d’instruction. D’autre part, le procureur général n’a dès ce moment plus été nommé par le Conseil d’Etat, mais élu par le Grand Conseil.
Le métier de procureur général est devenu plus politique et quand on entre dans une logique politique, on s’éloigne un peu du droit non?
Non, je ne le pense pas. La fonction est certes plus politisée puisque le procureur général est choisi par les députés, mais cela ne se traduit pas par une politisation de l’exercice de la charge.
Le Canton de Vaud est plus sûr aujourd’hui qu’en 2005?
D’une manière générale, la Suisse et le Canton de Vaud peuvent se targuer d’avoir un bon niveau de sécurité. C’était déjà le cas en 2005, ça l’est toujours autant aujourd’hui. Par exemple, les statistiques de la délinquance démontrent depuis plusieurs années une baisse du nombre de cambriolages et des vols sur sol vaudois. Cela s’explique autant par la répression que par la prévention. Il faut bien sûr s’en réjouir, sans jamais se relâcher évidemment.
Votre fin de carrière est plutôt agitée, on se souvient encore des attaques à votre encontre de la présidente du parti socialiste vaudois et avocate, Jessica Jaccoud. Elle vous accusait de faire partie de l’ancien monde, d’enquêter et d’enfermer, ces critiques vous ont blessé?
(Il réfléchit) Le mot «blessé» est peut-être un peu fort. Toute personne a évidemment le droit d’avoir son opinion et de l’exprimer. Toutefois, nous ne nous connaissons pas, c’est pourquoi j’ai eu de la peine à comprendre cette attaque personnelle. La voie qu’elle a choisie m’a heurté et choqué pour être sincère. Ce qui m’a surtout interpellé, c’est cette volonté de dicter une ligne au ministère public, venant d’une politicienne par ailleurs avocate.
Jessica Jaccoud exigeait un changement de politique pénale dans le canton, votre successeur Eric Kaltenrieder sera pourtant davantage dans la continuité que dans la rupture non?
Il est Président du Tribunal cantonal. Nous nous rencontrons donc régulièrement de par nos fonctions. Cela dit, je n’ai pas discerné une volonté de changer radicalement de trajectoire.
La politique pénale a dû s’adapter aux changements de notre société, on pense notamment aux zadistes du Mormont ou aux «embouteilleurs» de Renovate Switzerland, il y a encore du travail?
Pour moi, une question juridique centrale était celle de l’anonymat revendiqué par certains militants. Le Tribunal fédéral a tranché: on ne peut pas échapper aux sanctions simplement en refusant de divulguer son nom. A mes yeux, c’est logique et fondamental.
En matière d’anonymat justement, la cybercriminalité inquiète de plus en plus. Le Canton est prêt à y faire face?
Le pôle de lutte contre la cybercriminalité a été créé il y a dix ans avec certains résultats probants, mais il faut être lucide: les ramifications mondiales du web facilitent l’impunité.
Quand on est procureur général, on doit souvent se sentir bien seul, il faut être un peu solitaire justement pour exercer cette fonction?
Je me souviens des mots de mon prédécesseur Jean Marc Schwenter: «Tu verras, c’est un métier solitaire». Après 17 ans, je peux confirmer: j’ai connu la fameuse «solitude du chef». Mais aussi de formidables moments de vie en équipe.
On a l’image d’un Eric Cottier réticent à la critique, dur, froid, et pourtant d’autres procureurs vaudois m’ont dressé un tableau totalement différent, celui d’un homme généreux, drôle et affable, qui est le vrai Eric Cottier?
(rires) Le deuxième, évidemment. L’homme prime toujours sur la fonction. Lorsqu’il exerce celle-ci, il doit maîtriser sa nature, sans pour autant chasser son naturel.
On vous imagine mal à la retraite et pourtant, c’est ce qui vous attend dès le 1er janvier prochain, vous êtes prêt?
Totalement. Je vis une dernière année passionnante, le seul regret qui m’habite est celui de ne pas pouvoir vivre le nouveau système de Conseil de la magistrature qui entrera en vigueur l’an prochain.
Comment occuperez-vous vos journées?
Je ne vais pas m’ennuyer. J’adore lire, écouter de la musique. Je passe même volontiers la tondeuse. Pour l’heure, j’ai envie de choses simples que je n’avais pas vraiment le temps de faire. Je suis aussi tenté par l’écriture, dans un registre non juridique.
Que souhaitez-vous à votre successeur Eric Kaltenrieder?
Du bonheur dans ce poste qui est unique, passionnant. Qu’il vive comme moi cette chance qui a été mienne durant toutes ces années.
Un poste unique, mais que le grand public connaît assez mal...
Notre fonction est difficile à comprendre et à expliquer en une seule phrase. L’Etat charge le procureur, en quelque sorte, de veiller à l’application de la loi pénale, au profit des intérêts sociétaux et individuels que celle-ci veut protéger.
Propos recueillis par Fabio Bonavita