Simon Cottin-Marx, sociologue
Al’époque, il avait fait l’effet d’une bombe. En décembre dernier, la conseillère nationale Léonore Porchet publiait un tweet dans lequel elle annonçait quitter l’association Axios, après avoir pris connaissance «de violences sexuelles au sein de l’association», avouant «avoir fait ce qu’(elle avait) pu pour que l’association fasse toute la lumière sur ces accusations.»
Ce n’est qu’un témoignage parmi d’autres, mais il est emblématique des dysfonctionnements que l’on peut parfois observer au sein du monde associatif. Mobbing, non-respect des règlementations en matière de travail, copinage et favoritisme, confusion des rôles entre membres du comités et salariés, bénévolat forcé, turn-over important, conflits aux Prudhommes, les exemples de défaillances sont légion.
Désillusions
«Lorsque j’ai été engagé, on m’a fait clairement comprendre que je devais donner obligatoirement chaque semaine une demi-journée de bénévolat en plus de mon temps de travail» témoigne ainsi un Lausannois qui se déclare «définitivement revenu» du monde associatif. «Moi, j’ai travaillé pour un syndicat, qui ne m’a accordé le 1er mai comme jour férié qu’à condition que j’aille défiler» ajoute une autre. «Le président de l’ONG pour laquelle je travaillais a fait engager sa fille, qui n’avait aucune compétence pour le poste» témoigne encore une bénévole qui a choisi de démissionner pour ne pas cautionner la démarche…
L’avalanche de témoignages recueillis en plus sur les réseaux sociaux pose ainsi une question. Le monde des associations - il y en a près de 100’000 dans toute la Suisse -, agrégerait-il un cocktail particulier et nocif de dysfonctionnements, insatisfactions et déceptions? «Non, répond Simon Cottin-Marx auteur du livre «C’est pour la bonne cause, les désillusions du monde associatif» paru en septembre dernier aux Editions de l’Atelier. On y retrouve tous les défauts du monde du travail ni plus ni moins. Selon moi, les libertés que l’on peut y prendre relèvent plus de la vie des petites structures que d’une spécificité du monde associatif. Car les petites associations comme les petites entreprises ne sont souvent pas armées pour gérer des employés».
«Les conflits s’expriment surtout dans les petites structures gérées par des bénévoles engagés lorsque les rôles sont moins bien définis et qu’aucun salaire ne peut remplir leurs besoins de reconnaissance, confirme François Türk consultant en gestion associative à Bénévolat-Vaud, le centre vaudois de compétences pour la vie associative. Il y a aussi le fait qu’une association est, à l’inverse de la plupart des entreprises, par essence démocratique et fonctionne sur la base d’une assemblée et d’un comité élu, ce qui explique que des crises puissent davantage s’y exprimer.»
Travailler autrement
Et le paradoxe est là. Car à l’inverse de l’entreprise, l’association implique également, pour reprendre une expression de Simon Cottin-Marx, «par essence, la promesse de travailler autrement», si bien que les salariés associatifs y expriment souvent d’énormes attentes par rapport à leur emploi.
«Le milieu associatif est parfois idéalisé par les personnes qui s’y engagent. La plupart le font en référence à des valeurs fortes qui motivent leur engagement pour une cause idéale. Cette quête de sens, qui est au cœur du monde associatif peut amener les gens à s’engager corps et âme et générer des frustrations lorsque les choses n’avancent pas dans la direction imaginée ou souhaitée» explique ainsi Isabelle von Muralt, consultante en gestion associative et responsable des formations chez Bénévolat-Vaud. Elle pointe du doigt une autre lacune: «Dans le contexte associatif, il manque souvent une clarification à la fois dans l’expression des valeurs communes et des buts poursuivis, mais aussi dans la manière dont les décisions sont prises et dont l’association doit être gérée. Nous encourageons régulièrement les acteurs de ce monde à clarifier leurs valeurs communes et leur mode de gouvernance.»
Mandat des pouvoirs publics
Reste un dernier élément de crispation, pas toujours forcément perçu par les acteurs du secteur. Avec le développement de l’Etat-providence, les pouvoirs publics tendent de plus en plus à déléguer une part importante de leurs missions à vocation sociale à des associations ou fondations peu armées pour le faire. «Le monde associatif s’est considérablement développé au cours des dernières décennies sur la base des financements publics, note ainsi Simon Cottin-Marx. Le problème est que d’une part les financements ne sont pas à la hauteur des missions dévolues, et que d’autre part les associations doivent prendre le tournant de la professionnalisation. Or souvent, les futurs employeurs associatifs n’y sont pas préparés, ils sont eux-mêmes bénévoles et faute de temps, ont tendance à délaisser les questions d’organisation du travail, perçues comme secondaires.»