«Ici, les chefs se sont succédé, chacun couronné par 3 étoiles au Michelin. Ils ont fait de cet endroit un lieu unique au monde, une légende. Nous devons avoir une véritable reconnaissance pour ce qu’ils ont apporté à la gastronomie suisse et à son rayonnement.» Auteur d’un magnifique ouvrage, richement illlustré, sur l’histoire de ce lieu magique qu’est le restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier, l’ancien journaliste Fabien Dunand, ne tarit pas d’éloges quand il évoque ce lieu. Et ne cache pas son admiration pour une saga commencée en 1955 déjà avec Benjamin Girardet, le père de Frédy, qui reprend l’établissement avec sa femme Georgette, quittant alors le restaurant Central Bellevue, à Lausanne, où il officiait. Leur volonté est d’y offrir une cuisine classique, destinée à mettre en valeur les spécialités locales. Ils sont rapidement rejoints par leur fils Frédy, alors apprenti cuisinier. Dix ans plus tard, lors du décès du père, c’est Frédy, sa femme et sa mère qui rachètent le bâtiment à la commune de Crissier. Leur ambition? Proposer une cuisine d’excellence. Le café communal est alors transformé en restaurant gastronomique.
Convaincre les sceptiques
Mais pour cela, il faut convaincre. Pas une chose facile en ce début des années 70. Pour preuve: en 1972, un texte du guide Gault&Millau épingle la Suisse, «pays neutre où tout est neutre. Même le goût (...). On y idolâtre les formes extérieures de la santé, on exige des produits qu’ils soient hygiéniques. Ils le sont à ce point qu’ils en perdent parfois tout caractère.» Le constat est plus que sévère, il est méprisant. Et il faudra beaucoup de temps pour que Christian Millau daigne se déplacer à Crissier pour goûter à la cuisine de Frédy. La suite, on la connaît. A la tête de son restaurant, il va multiplier les récompenses professionnelles: la Clé d’or Gault&Millau en 1975, trois étoiles au Michelin, la note de 19,5 au Gault&Millau, ou le titre de «Meilleur chef du monde» en 1986 avant, trois ans plus tard d’être consacré «Cuisinier du siècle» par Gault&Millau, aux côtés de Paul Bocuse et Joël Robuchon.
Fin 1996, il prend sa retraite et remet l’établissement à son chef de cuisine Philippe Rochat. Le restaurant perd temporairement sa troisième étoile Michelin, mais il la retrouve en 1997. Au printemps 2012, c’est Benoît Violier, chef de cuisine de Philippe Rochat, qui succède à ce dernier. En octobre 2012, le guide Gault&Millau, édition suisse, lui décerne le titre de «Cuisinier de l’année 2013». En 2016, La Liste lui décerne aussi le titre de «Meilleur restaurant du monde».
Après son décès en janvier 2016, Brigitte Violier, nouvelle directrice de l’établissement, conforte Franck Giovannini à son poste de chef de cuisine qu’il occupe depuis 2012. En octobre 2016, le Guide Michelin décerne 3 Etoiles au restaurant de l’Hôtel de Ville et le Gault&Millau donne la note de 19/20, pour l’année 2017, faisant de Franck Giovannini le quatrième chef triplement étoilé à Crissier. Durant l’été 2018 Franck Giovannini et son épouse Stéphanie prennent la direction de l’établissement.
Des valeurs communes
Cette succession de chefs à un si haut niveau est une exception mondiale», souligne Fabien Dunand. Comment l’expliquer? Par la passion qui les a tous animés, par le fait de s’être tous cotôyés à des postes divers durant de nombreuses années avant de devenir chef, avec la volonté de transmettre une tradition. Sans oublier d’ajouter beaucoup de rigueur dans l’exécution des plats et un profond respect pour les produits. «Aujourd’hui, comme hier, chacun d’entre nous a fait ou fait toujours du Girardet. Mais chacun à sa manière», résume Frank Giovannini. «Les valeurs qu’ils nous a transmises sont le fil de cette réussite. Elles nous aident à avancer et à ne pas se perdre en route.»
«Une histoire unique au monde», Fabien Dunand, Editions Attinger