Pour la loi suisse, rouge et rosé ne font qu’un: tous deux sont des vins obtenus à partir de raisins rouges. La couleur finale du produit dépendra du processus d’élaboration utilisé et, surtout, de sa durée. Les cépages rouges, qui ont en général la peau noire, possèdent dans la plupart des cas une chair claire. Celle-ci donne, une fois pressée, un jus blanc qui se colore en macérant au contact des peaux riches en anthocyanes, les pigments naturels du raisin. Plus le contact entre le moût et les pellicules écrasées dure longtemps, plus la couleur du vin sera foncée. Séparez immédiatement les jus et les enveloppes de baies, vous obtenez un «Blanc de Noir» doté d’une belle teinte dorée! Patientez quelques heures, vous aurez un rosé! Et plusieurs jours, voire plusieurs semaines de ce régime, sont requis pour obtenir des teintes rubis, grenat ou noires.
Mélanger du rouge et du blanc: une hérésie?
Du point de vue technique, assembler du vin rouge et du vin blanc pour créer un rosé est tout à fait possible. Cette méthode, à l’inverse de ce que prétend la propagande de certaines appellations françaises, donne des vins de qualité similaire aux techniques plus traditionnelles. Majoritaire dans les pays dits du «Nouveau-Monde», l’assemblage de cépages rouges et blancs est autorisé pour certains des rosés les plus prestigieux, et les plus chers, d’Europe, les Champagne par exemple. En Suisse alémanique, le Schiller naît de parcelles où sont plantés côte à côte des cépages rouges et blancs que l’on vinifie ensemble. En Suisse romande, l’Œil-de-perdrix est un rosé élaboré à base de Pinot Noir exclusivement. A l’exception de Neuchâtel, le berceau de ce vin structuré à la robe saumonée, où l’on peut adjoindre jusqu’à 10% de Pinot Gris ou de Pinot Blanc. Ce petit pourcentage de blanc permet d’apporter de la fraîcheur en bouche et d’amener une touche d’élégance au nez.
Du vin d’été au vin préféré
Les dernières statistiques de l’Observatoire suisse du marché des vins (OSMV) montrent que le rosé connaît une croissance régulière dans notre pays. Avec 4,3 millions de litres vendus en 2018, les rosés suisses représentent désormais 15% des ventes de vins helvétiques dans les supermarchés étudiés par cet organisme. Très apprécié sur les terrasses, notre spécialité a toujours vu sa consommation augmenter en même temps que la température. Néanmoins, ce vin d’été frais et populaire commence à devenir un classique que l’on boit toute l’année. Surtout pour ce qui concerne les cuvées les plus onéreuses. En Suisse, le créneau du haut de gamme est occupé par l’Œil-de-perdrix neuchâtelois. Dans les grandes surfaces analysées par l’OSMV, le litre de rosé de la région des Trois-Lacs affiche un prix moyen de près de 18 francs, contre neuf et respectivement dix francs pour ses concurrents de Genève ou du Valais. Quant aux vins étrangers, ils sont loin d’atteindre ces niveaux puisqu’il faut compter environ huit francs pour un litre de rosé français et moins de cinq francs pour son équivalent espagnol. Si les volumes et les prix augmentent régulièrement, en Suisse et dans le monde, le rosé possède encore une image de vin peu complexe qui se boit plutôt qu’il ne se déguste et vieillit très mal. Là encore, la situation évolue comme le montre la tendance des rosés de garde. Encore très minoritaires, ces crus mis sur le marché après quelques années de vieillissement ont pourtant l’ambition de convaincre un nouveau public, celui des amateurs avertis.