Le peuple suisse est appelé à se prononcer ce 15 mai sur un sujet d’importance: le don d’organes. D’importance parce que chaque semaine en Suisse, une à deux personnes meurent dans l’attente d’un organe qui ne viendra jamais, faute de donneur.
C’est pour sortir de cette impasse, que des initiants ont lancé une initiative en 2019 visant à modifier complètement la logique qui prévaut en matière de dons d’organes. Alors que jusqu’à présent, ne peuvent donner des organes que des personnes qui en ont exprimé explicitement leur volonté de leur vivant (directives anticipées ou carte de donneur), les initiants ont souhaité en inverser la logique: tout le monde est potentiellement donneur sauf s’il en a exprimé le refus. C’est d’ailleurs ce principe que le Conseil fédéral a retenu pour le contre-projet soumis en votation le 15 mai prochain, moyennant un bémol: les proches pourront toujours s’opposer au prélèvement d’un organe chez un membre de leur famille.
Pour Swisstransplant, qui soutient le contre-projet du Conseil fédéral, l’affaire est entendue: «Bien qu’aucun lien de causalité clair n’ait pu être prouvé entre les modèles d’expression de la volonté et le taux de don, il y avait plusieurs indices selon lesquels le taux de don peut être influencé positivement par la solution du consentement présumé, explique le Dr Franz Immer, directeur de Swisstransplant. L’introduction de la solution du consentement présumé est une pièce importante du puzzle qui peut contribuer à augmenter les taux de don d’organes en Suisse. En comparaison avec les pays européens, on voit qu’un doublement du nombre de dons est possible.»
Aucune garantie
Et c’est là que le bât blesse. «Plusieurs indices», «peut contribuer», «possible»… Le moins que l’on puisse dire est que bien que chaleureusement soutenu par les autorités et les milieux médicaux, le principe du consentement présumé ne garantit en aucun cas que la modification de la loi sur la transplantation se traduira par une augmentation du taux de dons d’organes en Suisse. «En réalité ce n’est qu’en testant le consentement présumé que l’on saura si cela fonctionne. Il est difficile d’anticiper les conséquences de cette nouvelle disposition tant qu’on ne l’aura pas appliquée, car cela dépend de nombreux facteurs, y compris culturels, explique Thomas Steinauer co-auteur durant ses études de médecine à Lausanne de l’étude «Don d’organes et consentement présumé: une fausse bonne idée?» publiée en 2020 dans la Revue médicale suisse.
En Amérique latine par exemple, le consentement présumé s’est traduit par une baisse du don d’organes, et ce pour de multiples raisons, comme l’absence de base légale solide, la corruption ou le manque de personnel qualifié. En Espagne a contrario, le consentement présumé a eu un impact clairement positif dans ce pays qui de longue date, fait figure d’excellent élève en la matière.
Un outil parmi d’autres
Une chose est sûre: même s’il est adopté par le peuple, le consentement présumé ne sera pas suffisant pour augmenter significativement le taux de dons d’organes: «Même si une telle mesure est utile et peut-être qu’elle le sera, ajoute Thomas Steinauer, elle ne représentera qu’un outil parmi d’autres et probablement pas prépondérant. D’ailleurs les pays qui ont mis en place le consentement présumé ont souvent adopté de nombreuses autres mesures en même temps. Ainsi, selon la littérature que nous avons consultée et les entretiens que nous avons menés, ce qui compte beaucoup, c’est bel et bien l’information et la sensibilisation de la population. Qui sait par exemple que Swisstransplant tient un registre des donneurs?»
Un point de vue que Swisstransplant confirme: «L’introduction de la solution du consentement présumé est également liée à des campagnes d’information complètes et à l’élaboration d’un registre oui/non par le gouvernement fédéral. Car elle n’est pas la seule pièce du puzzle: il est également très important de garantir que les structures, les processus et les spécialistes formés dans les hôpitaux soient disponibles afin que les donneurs d’organes potentiels soient identifiés et que leurs proches reçoivent le meilleur soutien éventuel dans cette démarche».